La traçabilité, défi de société et défi d’industrialisation

Jeudi dernier s’est tenue la conférence Supply Chain Transparency, organisée par Sourcemap autour de l’enjeu crucial de la traçabilité. Cette question est souvent abordée sous l’angle environnemental. Pourtant, la traçabilité est un enjeu majeur en termes d’impact social : quelles communautés sont impactées par le choix de matières premières, comment sont-elles impactées et que fait l’acheteur pour garantir le respect des droits humains, la reconnaissance et le développement de ces communautés ?

Une tribune écrite par Ninon Galice

Auteur

Ninon Galice

Date de publication

24 février 2023

Temps de lecture

4 mins

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Traçabilité

L’impact social d’un service ou d’un produit doit être pris en compte dans la mesure de son impact global et devient ainsi un critère de choix décisif. Cela passe nécessairement par la mise en place d’un processus de traçabilité fiable.

Depuis quelques années, le cadre règlementaire autour de ce sujet se renforce, et la tendance ne fait que s’accentuer. Devoir de vigilance, loi AGEC, la France est pionnière en la matière et comme rarement, entend exercer ici un cadrage législatif extra-territorial, l’obligation de vigilance s’appliquant à l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement de l’entreprise. L’Union Européenne entend bien prendre la relève et étendre le champ d’application de ces lois avec le Green Deal européen.

Sommaire de l’article

Le devoir de vigilance des entreprises donneuses d’ordre, premier renforcement de l’obligation de traçabilité pour les grandes entreprises

Depuis l’entrée en application de la loi Devoir de vigilance en 2017, des citoyens, salariés ou ONG peuvent saisir la justice s’ils ont connaissance de dysfonctionnements à tout échelon de la chaine d’approvisionnement d’une entreprise. C’est donc un sujet qui doit impliquer toutes les directions, exige des moyens et s’inscrit dans le cadre d’une politique globale de gestion de son impact sociétal.

Le plan de vigilance exigé par la loi s’appuie sur cinq éléments :

  • La cartographie et la hiérarchisation des risques liés à la chaîne d’approvisionnement de l’entreprise : droits Humains, santé, environnement…
  • L’évaluation de la prévention de ces risques sur l’ensemble de la chaîne (fournisseurs et sous-traitants).
  • La remédiation et les mesures de vigilance, qui doivent être « raisonnables ». Sur ce point, la logique est que « plus on est gros, plus on peut agir et plus c’est grave, plus on doit agir ». Le juge sera décisionnaire de la capacité de l’entreprise à agir et donc de son niveau de responsabilité.
  • La mise en place d’un dispositif d’alerte.
  • Les preuves de la mise en œuvre effective de ces mesures.

La loi AGEC et l’accélération des chaînes d’économie circulaire, la traçabilité devient une nécessité business pour de nombreux secteurs d’activité

La mise en place de chaînes d’économie circulaire est avant tout un enjeu environnemental : massification des déchets pour retraitement, modèles de recyclabilité économiquement viables…

Les 130 articles dans la loi AGEC, dont de nombreux sont entrés en application en janvier 2023, couvrent de multiples sujets : plastique jetable, information du consommateur, gaspillage, obsolescence programmée, mieux produire… L’objectif est notamment de favoriser le réemploi, allonger la durée de vie des produits, introduire un taux minimal de matière recyclée.

22 filières ont été déclarées REP à ce jour : textile, papier et carton, piles, emballages ménagers, jouets, articles de sport… Cela donne lieu au versement par le fabriquant d’une éco-contribution à un éco-organisme, en charge de collecter et valoriser les déchets concernés.

Mais il ne faut pas ignorer les enjeux sociaux liés à la mise en place de ces filières : nouveaux métiers ou développement de territoires dits « périphériques », la mise en place de ces processus est l’occasion de se questionner sur l’optimisation de son impact social et sociétal.

Le Green Deal européen et l’« avalanche » de régulations qui en découlent créent une obligation de traçabilité pour (presque) toutes les entreprises productrices

Si la France a été pionnière en la matière, il est maintenant temps d’harmoniser les pratiques à l’échelle du marché unique.

Le Green Deal européen vise à parvenir à la neutralité carbone en 2050, tout en préservant une stratégie de croissance (la pertinence de cette approche n’étant pas le sujet du jour, nous nous abstiendrons de la commenter).

On peut effectivement parler d’une « avalanche » de textes au niveau européen pour se mettre au niveau : droits humains, travail forcé, emballages, information des consommateurs, matières premières recyclées… Ces régulations sont globalement alignées sur les lois Devoir de vigilance et AGEC, procurant ainsi un avantage certain aux entreprises françaises qui auront su s’y conformer.

Car l’enjeu est de taille : les produits fabriqués ou importés en Europe devront les respecter, sous peine d’être retirés du marché européen. Toutes les entreprises des secteurs ciblés, ou presque, sont concernées : à terme, le seuil de chiffre d’affaires annuel devrait être fixé à 10 millions d’euros pour être soumis à ces obligations.

La marge de manœuvre des entreprises n’est pas immense : elles ont le choix des outils qu’elles vont utiliser pour mesurer leur impact, mais pas totalement. Elles vont par exemple être obligées de réaliser des analyses de cycle de vie et de prendre en compte l’extraction de la matière première dans ces analyses.

Enfin et non des moindres, la CSRD, qui s’appliquera à l’ensemble des entreprises qui interviennent sur le marché européen. Cette directive fait passer les sujets du reporting et de la transparence de l’ère de l' »extra-financier » à celle de la « durabilité », en introduisant notamment l’usage de la double matérialité.

Au-delà de la collecte de données, la CSRD pose également la question des certifications et de la normalisation : quels sont les standards pour communiquer sur les impacts sociaux, environnementaux ou sociétaux ? La normalisation pourra être un outil de positionnement des entreprises par rapport au Green deal européen afin d’assurer leur sécurité juridique.


Une tribune écrite par :
Ninon Galice – Manager chez Bartle

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