Taxonomie verte : du discours à la méthode

Avec la publication fin 2019 de son « Green Deal », la Commission européenne a posé le cadre de la stratégie et des ambitions de développement durable de l’Union Européenne. En ligne de mire, la neutralité carbone pour 2050, et comme jalon majeur -55% dès 2030. Cette ambition n’est dans son principe pas nouvelle : il y a bien longtemps que l’on sait que la maison brûle, et que nous ne pouvons détourner le regard plus longtemps.

Un article écrit par Philippe Jacquet

Secteur

RSE

Auteur

Philippe Jacquet

Date de publication

28 septembre 2022

Temps de lecture

5 mins

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Le renforcement des obligations pesant sur les acteurs économiques, nées des droits européens et nationaux, a été très marqué ces dernières années. La Taxonomie verte européenne vise à constituer une grille de lecture objective de la durabilité environnementale des activités économiques : elle illustre la montée en puissance d’une approche « métrique » du développement durable, comparable à celle en vigueur en matière de comptabilité.

Il s’agit donc d’un outil méthodologique – pas encore totalement finalisé, et dont l’application sera progressive – d’identification et de mesure de la durabilité des activités économiques : « 50 nuances de vert », si l’on peut oser cette analogie.

Sa mise en pratique appelle nécessairement des questions, à l’image de celles soulevées lors du webinar « Les midis de l’Impact » organisé par Bartle et Fidal Impact, et dont le replay est accessible ici.

Webinar Bartle Taxonomie verte européenne

Sommaire de l’article

Taxonomie verte : quels sont les objectifs ?

Les obligations de reporting extra-financier – dont la Taxonomie constitue un outil méthodologique – traduisent le concept de « double matérialité », retenu par l’Union Européenne, à la différence notable des Etats-Unis. Les informations publiées par les acteurs économiques se doivent de rendre compte de leur exposition à des risques engendrés par le réchauffement climatique (orientation retenue par le législateur américain), mais également de l’impact de leurs activités sur l’environnement. En « disséquant » à la manière d’un naturaliste les activités économiques, elle permet un langage commun et le partage de normes/standards techniques qui réduiront le « greenwashing » et les déclarations d’intentions sans consistance.

Les investisseurs sont identifiés comme le « bras armé » du changement. L’étude d’impact du plan climat de l’Union Européenne évalue à 350 milliards d’euros le montant annuel de l’investissement nécessaire pour l’atteinte de l’objectif de neutralité carbone en 2050. Les obligations de reporting des investisseurs se sont progressivement renforcées. La mobilisation des financements en faveur des activités durables requiert une mesure objective de la proportion durable des portefeuilles de participations détenues, de financements octroyés, etc. Voir à cet égard la volonté affichée cette semaine par le fonds souverain norvégien – le plus grand du monde, représentant la bagatelle de 1,3% des capitalisations boursières mondiales – de ne plus détenir que des participations dans des entreprises « décarbonées » à l’horizon 2050.

Les entreprises sont toutes concernées à terme. Pour le moment, le champ d’application du règlement Taxonomie est restreint aux entreprises soumises en France à la publication d’une DPEF (Déclaration de Performance Extra-financière), selon certains seuils. Ce champ est amené à s’élargir dès 2023 avec l’entrée en vigueur de la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive). Au-delà de la contrainte légale, les entreprises de tailles plus retreintes pourront, pour ainsi dire par « capillarité », être amenées à établir des informations au regard de la taxonomie européenne, pour deux raisons principales.

D’abord, en raison de la vocation des  investisseurs, soumis à des obligations déclaratives, à les accompagner au même titre que les grandes entreprises, et ensuite, par leur participation à des chaînes de valeur amont/aval, qui les mettent en relation avec les acteurs concernés par les obligations de reporting extra-financier et amenés à requérir les informations utiles auprès d’elles, pour la part des biens et services qu’elles contribuent à produire. Le règlement Taxonomie engendre ainsi une exigence d’une vision « de bout en bout » de chaque activité.

Comment la mise en œuvre pratique de la Taxonomie doit-elle être réalisée ?

La mise en œuvre pratique requiert une approche en « cascade » :

  • Eligibilité : Il s’agit de déterminer quelles sont les activités concernées par la Taxonomie, selon leurs codes NACE. Les activités retenues représentent de l’ordre de 90% des émissions de gaz à effet de serre de l’UE. Être éligible traduit la potentialité de recevoir des financements « verts », afin de favoriser les technologies susceptibles de maîtriser ces émissions. L’inclusion du gaz et du nucléaire, comme activités « de transition » (la Taxonomie prévoit également des activités « habilitantes ») a pour cette raison alimenté les débats. Cependant, il est notable que cette inclusion n’est pas sans conditions / critères à vérifier lors de la phase suivante : l’analyse de l’alignement.
  • Alignement : Si et seulement si une activité est éligible, elle doit encore passer le crible de 3 critères pour être jugée alignée :
    • Le premier critère doit permettre de vérifier la contribution substantielle à un des 6 objectifs environnementaux (Atténuation et adaptation au changement climatique, protection des ressources aquatiques et marines, transition vers une économie circulaire, prévention de la pollution, protection de la biodiversité). Il se mesure au regard d’une grille de critères (seuils de rendement, plafonds de rejets, conformité à des référentiels, etc.), adaptés pour chaque activité ;
    • Le second porte sur l’absence d’atteinte significative à un des autres objectifs environnementaux (« DNSH » : Do Not Significant Harm) ;
    • Le troisième concerne le respect pour la mise en œuvre d’une activité donnée de principes humains (« Minimum Safeguards »), en référence notamment à la Charte de l’ONU et aux principes de l’OIT.

Les chiffres d’affaires, investissements (Capex) et dépenses courantes (Opex) liées aux activités alignées doivent ainsi selon cette démarche être calculés et communiqués sous la forme de reportings standardisés. Dès lors, pour un investisseur, un prêteur, la puissance publique, un salarié… la proportion « durable » des activités d’un acteur économique peut être finement établie.

Quels points d’attention doivent être anticipés ?

On peut souligner plusieurs points d’attention :

  • La mobilisation des compétences en central et au niveau des unités opérationnelles : la mise en place d’une équipe projet peut s’avérer nécessaire afin de piloter la mise en place ;
  • La disponibilité des données techniques : le calcul de l’alignement peut se heurter à des lacunes en matière d’information disponibles (équipements obsolètes, inventaires non fiables, absence de documentation…) ;
  • L’adéquation des « découpages » analytiques : la granularité des informations disponibles peut rendre difficile l’isolement des activités durables au sein d’unités opérationnelles réalisant des opérations fortement diversifiées ;
  • La normalisation/documentation pour la production régulière des indicateurs et la formalisation des méthodes d’identification et de calcul : il s’agit d’assurer la traçabilité et l’auditabilité des calculs opérés d’une année sur l’autre et entre entités. A cet égard, le recours à une solution logicielle peut être pertinent.

Quelle utilité de la Taxonomie pour le pilotage de l’entreprise ?

Au final, derrière une approche méthodologique que d’aucuns peuvent juger indigeste, l’accueil globalement favorable de la Taxonomie traduit sa réponse à une attente légitime de clarification et d’objectivation des données extra-financières. D’autres textes en préparation viendront encore davantage renforcer ce « langage commun » certes contraignant, mais indispensable pour traduire l’ambition d’atténuation du changement climatique en réalité.

Ce resserrement de l’attention des parties prenantes doit être pleinement intégré dans la vision stratégique de l’entreprise à un horizon de 5, 10 ans, et au-delà. Quels avantages compétitifs promouvoir ? A quels risques se confronte-t-on ? La Taxonomie offrira à la gouvernance un outil utile de lecture et d’arbitrage, qui devra contribuer à des choix éclairés, et responsables.


Textes de référence :

Le règlement européen 2020/852 établit un cadre pour favoriser l’investissement durable et amende le règlement 2019/2088.

Les actes délégués et leurs annexes précisent les modalités pratiques de mise en œuvre : à date seuls les actes délégués relatifs aux deux critères « climatiques » (atténuation et adaptation), ainsi que celui relatif aux KPIs « article 8 » ont été publiés. Ils sont accompagnés d’annexes.

Annexe 1 « atténuation »
Annexe 2 « adaptation »
Annexe KPIs

Autres publications et outils officiels :

EU Taxonomy Compass : Liste des critères techniques

TEG rapport sur la taxonomie


Un article écrit par :
Philippe Jacquet – Associé chez Bartle

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