Quel futur souhaitable pour l’innovation ?

Là où innovation et technologie sont devenus plus indissociables qu’innovation et progrès et à l’heure où nous prenons collectivement conscience que nous devons aller vers plus de sobriété, de résilience et de circularité, comment requestionner nos démarches d’innovation et leur sens ?

Une tribune écrite par Myriam Moussan

Secteur

Innovation

Auteur

Myriam Moussan

Date de publication

19 octobre 2022

Temps de lecture

5 mins

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Sommaire de l’article

L’innovation a toujours fait partie d’un imaginaire collectif hautement désirable, sous des traits différents au fil de l’histoire, d’abord avec des figures d’innovations techniques, comme Léonard de Vinci, puis plus technologiques et digitales à partir des années 80, avec Bill Gates ou Steve Jobs dans leurs garages respectifs.

Innovation rime de plus en plus avec high tech et hyper croissance économique, acception dont les start-up sont devenues le symbole absolu, avec leurs fulgurances, leurs dérives (« Bienvenue dans le nouveau monde, comment j’ai survécu à la coolitude des startups » de Mathilde Ramadier) et leurs scandales (Theranos). Syndrome de Stockholm collectif : cette course effrénée nous enferme de notre plein gré dans des systèmes de plus en plus opaques, consommateurs de ressources et destructeurs de lien social.

Aujourd’hui, la question n’est plus tellement si mais comment sortir du culte de l’innovation qui s’inscrit dans un référentiel techno-solutionniste, et qui, au lieu de chercher de nouvelles solutions à des problèmes, cherche des problèmes à des solutions ?

Désinnover, le futur de l’innovation ?

Usbek & Rica titrait un de ses derniers numéros : “Et si on arrêtait d’innover ? Bienvenue dans l’âge de la maintenance”, un plaidoyer pour que la maintenance, plus que l’innovation, devienne un enjeu stratégique, malgré son caractère peu désirable.

Des mouvements low tech se développent et prônent des initiatives qui “réinterrogent d’abord les besoins d’un objet pour trouver le niveau de technologie le plus acceptable pour ce besoin” Amandine Garnier, low-tech lab. Derrière cette recherche d’optimum technologique, l’idée d’assurer une plus grande réparabilité des produits (et pourquoi pas, des services ?) par les utilisateurs eux-mêmes, à contre-courant d’une obsolescence programmable et programmée, moteur de croissance économique sans effort pour certaines industries.

Appliqué à la ville de demain, le concept de “smart city” est de plus en plus décrié. Fin juin, le MIT technology review titrait « We need smarter cities, not “smart cities”, dénonçant les dérives d’une hyper technologisation des villes : “trop souvent, on voit des “smart cities” focalisée sur le déploiement de nouvelles technologies indépendamment les unes des autres (…) et on finit par définir la ville à coup de use cases ou de plateformes.”

UrbanShift, une initiative dirigée par le Programme des Nations Unies pour l’environnement, soutient plus de 23 villes dans 9 pays et se concentre sur la planification urbaine intégrée, les infrastructures à faible émission de carbone, la gestion durable des déchets et les solutions fondées sur la nature pour la durabilité urbaine.

Trouver ces nouvelles voies qui permettent de concilier le plus possible prospérité économique, bonheur et préservation des ressources naturelles, nécessite des approches holistiques, pluri-disciplinaires et créatives, à l’image des démarches d’innovation.

Si la désinnovation n’est sans doute pas le futur de l’innovation, sa relative dé-technologisation, plus certainement. N’oublions pas que les exemples d’innovations ou d’initiatives low-technology sont loin d’être low-technality. Par exemple, il aura fallu 10 ans pour concevoir, produire et commercialiser la Gazelle, voiture pensée pour être la plus légère et la moins consommatrice en énergie du marché. Son prix très élevé de lancement, évalué à 20 000 euros, reflète la complexité de la mise en place d’une ingénierie low-tech.

Le low-tech, un état d’esprit plus qu’une finalité en soit, pour atteindre plus de techo-discernement.

L’innovation reste une réponse privilégiée à la complexité portée par les défis sociaux, sociétaux, écologiques et économiques

D’ailleurs, selon l’OMPI (organisation mondiale de la propriété intellectuelle), la pandémie n’a pas freiné la dynamique d’innovation mondiale autant qu’imaginé. Par exemple, les nombre de publications scientifiques a cru de 7,6% à l’échelle mondiale et l’investissement en R&D par les entreprises aurait augmenté de 10% en 2020.

L’enjeu est donc de poser de nouveaux standards à nos démarches d’innovation pour qu’elles servent nos défis actuels. Nous pourrions par exemple nous imposer que nos innovations apportent plus de résilience, circularité, sobriété et bien-être social, 4 dimensions qui pourraient être des boussoles décisionnelles, complémentaires à la boussole économique, déjà bien ancrée.

Deux exemples d’approches pour une innovation en conscience

Le démarche low-tech

Arthur Keller et Emilien Bournigal, penseurs de la démarche low tech, ont identifié 9 critères pour une démarche d’innovation low-tech, répartis en 3 thématiques : durabilité forte, résilience collective, transformation culturelle. Un modèle actionnable aussi bien dans des phases de cadrage, d’inspiration, que d’évaluation à des fins de priorisation et/ou d’allocation de ressources par les entreprises.

Les pouvoirs publics ont un rôle à jouer dans l’incitation à engager des démarches d’innovation plus vertueuses. Par exemple, depuis 2017, en Suède, un allègement fiscal permet aux Suédois de réduire de moitié le coût de l’embauche de personnel pour réparer leurs appareils. Résultat, rien que pour l’électroménager, les réparations ont bondi de 16 % en 2020.

Le sustainable design

Pour Leyla Acaroglu, le sustainable design part du constat que 80% de l’impact écologique d’un produit est induit par son design amont. Il cherche à mettre les designers et les équipes de développement face aux conséquences sociales, sociétales et environnementales, des décisions de design et de conception qu’ils prennent.

Enjeu d’autant plus critique, qu’on sait que les principes de design délibérés d’acteurs comme Netflix, Facebook ou Instagram, activent des boucles de dopamine qui nous rendent accros à leurs réseaux ou plateformes (cf. le documentaire “Derrière nos écrans de fumée”).

Par exemple, Aza Raskin, l’inventeur de l’infinite scroll (qui fait défiler les pages Facebook, Twitter, ou Instagram sur votre écran, sans aucune limite), estime que cette “innovation” a fait perdre à l’humanité l’équivalent de 200 000 vies par jour.

De nombreuses ressources autour du sustainable design sont disponibles, souvent en open source comme ce kit de redesign de produit pour le rendre plus circulaire, pour essaimer largement.

Ces approches, applicables aux démarches d’innovation, le sont tout autant pour des démarches de transformation, de gestion de programmes, de réorganisation, d’excellence opérationnelle, etc. Que ce soit pour se questionner, se challenger ou pour aller plus loin et appuyer les décisions, ce sont des inspirations concrètes pour que les enjeux “RSE” infusent dans les esprits et guide l’action individuelle et collective en entreprise.


Une tribune écrite par :
Myriam Moussan – Senior Manager chez Bartle

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