Les navetteurs : une opportunité business a saisir ?

Phénomène encore marginal en 2019, celui des navetteurs a explosé sous l’effet de la crise sanitaire et mérite aujourd’hui une attention particulière. Cette population qui réalise des déplacements inter-régionaux fréquents présente des besoins bien spécifiques qui interrogent aujourd’hui l’ensemble des acteurs intervenant dans leur parcours : employeurs, acteurs de l’immobilier de bureau, des transports ou encore de l’hébergement.

Un article écrit par Juliette Lecamus et Estelle Gau

Secteur

Immobilier, Transport, Hébergement

Auteur

Juliette Lecamus et Estelle Gau

Date de publication

13 octobre 2022

Temps de lecture

7 mins

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Sommaire de l’article

Un phénomène qui ne date pas d’hier …

A l’ère pré-Covid, leur profil était déjà celui de cadres travaillant dans des grandes métropoles, telle que Paris, tout en vivant dans des agglomérations proches (telles Orléans ou Tours) voire plus éloignées (en Normandie). En 2016, deux Français sur trois (16,7 millions) travaillaient ainsi en dehors de leur ville d’habitation selon l’INSEE. La motivation principale de ce choix reste la recherche d’une meilleure qualité de vie, « au vert ».

D’année en année, ce phénomène s’est confirmé. Le constat est d’ailleurs éloquent dans la capitale : le solde migratoire parisien de plus en plus négatif (de -0,6% à -1,1% par an entre 2013 et 2019) atteste qu’il s’agit d’un vivier important de navetteurs.

… et qui s’amplifie nettement post-Covid

Avec la généralisation du télétravail pendant le Covid, suivie de sa pérennisation au moins partielle après la crise, les travailleurs sont de plus en plus nombreux à avoir franchi le pas : beaucoup se sont éloignés des centres urbains, s’affranchissant davantage de limites en termes de distance domicile-travail.

Les semaines de ces navetteurs se partagent entre l’organisation des déplacements, les transports multimodaux, le bureau, l’hébergement, leur lieu d’habitation ou les espaces de co-working. Autant d’étapes qui pourraient faire l’objet d’une charge mentale allégée par des gains de temps et d’argent.

Si l’on trouve encore peu d’études spécifiquement dédiées aux navetteurs, l’épidémie étant encore trop récente pour permettre les consolidations statistiques, et quand bien même le Grand exode urbain prédit par certains resterait à nuancer, nul ne peut nier le rôle d’accélérateur du Covid dans les changements de modes de vie et de travail.

Dans les prochaines années, ce sont 35 % des salariés qui devraient régulièrement avoir recours au télétravail selon une étude Ademe de 2020, tandis qu’un quart des Franciliens envisage d’emménager en région. Un fait qui n’est donc pas à négliger pour les acteurs concernés, d’autant que les navetteurs disposent généralement d’un pouvoir d’achat plus élevé que les personnes vivant et travaillant dans la même agglomération.

De premières réponses apportées par les secteurs des transports et de l’immobilier

Preuve que ce phénomène n’en est plus au stade de la tendance, des secteurs se sont déjà mis en ordre de marche pour adapter leurs offres aux besoins de cette clientèle.

C’est notamment le cas des transports, qui ont clairement identifié cette population comme un marché à adresser.

Avant la crise Covid, les navetteurs étaient essentiellement des professionnels qui avaient besoin de se déplacer quotidiennement sur de courtes distances pour se rendre sur leur lieu de travail (aller-retour en train entre 40 minutes et 1h10). Pour accompagner ces voyageurs, certains services étaient déjà disponibles : places de parking dédiées à proximité des gares, minibus faisant la navette jusqu’au bureau, abonnements de train particuliers… La SNCF fait ainsi profiter 6 000 abonnés de son offre Max Actif +.

Ces offres évoluent post-Covid pour s’adapter spécifiquement aux navetteurs longue distance et à ceux devant se rendre sur leur lieu de travail quelques jours par semaine ou par mois. Pour preuve : l’apparition fin 2021 de l’abonnement Max Actif (anciennement Mon Forfait Annuel Télétravail), qui compte déjà plus de 12 000 abonnés et permet d’effectuer 2 à 3 allers-retours en cœur de semaine.

Des abonnements télétravail avec TER se sont également développés au niveau régional : l’abonnement Zou! en PACA, le Pass Abonné 20-30 voyages en Nouvelle-Aquitaine, le Flexi’pass en Normandie…, offrant souplesse et flexibilité à un tarif plus avantageux que les forfaits classiques habituels. Contrairement au cas des navetteurs aériens (non-considérés ici), ces offres de transport plus durables contribuent à limiter l’empreinte carbone de ses usagers.

Enfin, les gares se transforment aussi en tiers-lieux pour favoriser le télétravail. Très fréquentées par les navetteurs, elles proposent désormais des espaces de co-working, des points de recharge multiples, ou encore une couverture Wifi plus étendue.

En répondant aux principaux besoins de cette clientèle professionnelle, ces nouvelles propositions servent déjà l’ambition récemment affichée par la SNCF de doubler la part modale du train. Pour demain, l’entreprise ferroviaire promeut également le train de fonction plutôt que la voiture comme complément de salaire et imagine la création de chèques ou cartes train (sur le même modèle que les tickets restaurant/chèques vacances) accordés par les entreprises à leurs salariés et encouragés par l’Etat via un allégement de la fiscalité.

Le secteur immobilier, notamment d’entreprise, n’est pas non plus en reste. Lui aussi a dû faire face à des souhaits de plus en plus marqués de la part de ces néo-travailleurs. L’étude réalisée par Bartle sur le Bureau de demain parle d’un modèle SWIPE : les bureaux « comme je veux, où je veux, quand je veux, avec qui je veux ». Basée sur la conviction selon laquelle le bureau n’est pas mort, elle met l’accent sur son inéluctable transformation qui dépend des moyens et de la relation employés/employeur propres à chaque structure.

En réponse à ces nouvelles attentes et dans une optique d’attractivité et de fidélisation des salariés, nombreuses sont les entreprises à s’être déjà adaptées. La généralisation du flex-office et l’installation dans des lieux de co-working en sont deux exemples typiques. L’optimisation des espaces permet aussi une meilleure réallocation du budget immobilier au bénéfice du confort de travail. Au cœur de l’équation : trouver le barycentre du triangle temps collaboratif/temps de sociabilisation/temps de production.

Au-delà des changements apportés au bureau d’hier, des employeurs autorisent leurs salariés à travailler certains jours dans des lieux autres que le bureau. Un mix immobilier agile intéressant, avec le recours à de plus en plus de tiers lieux comme variables d’ajustement. C’est par exemple le cas de la Mutuelle Générale, avec sa démarche Open Travail : quatre jours de retour sur site obligatoires par mois et possibilité le reste du temps de travailler dans deux autres lieux (hors domicile).

Autre proposition : la création d’un chèque bureau qui, sur le même modèle qu’un chèque restaurant, donne accès à un tiers-lieu ou à un espace de co-working. D’autres enfin vont plus loin avec une démarche All inclusive : avec le projet Work from anywhere, les employés de Payfit peuvent ainsi travailler où bon leur semble 3,5 semaines par mois. Pour les quelques jours passés sur site, l’éditeur de logiciel de paie en ligne finance les déplacements, la restauration et l’hébergement de ses collaborateurs.

« A home away from home »

La particularité principale des navetteurs est de voyager très régulièrement entre les mêmes zones de départ et de destination. Ainsi, pour s’héberger hors de chez eux, ils recherchent avant tout des lieux fonctionnels et bien localisés, si possible toujours au même endroit, proches de leur bureau ou de leur gare d’arrivée, mais aussi confortables et à prix avantageux. Ces caractéristiques ouvrent de riches opportunités en termes de nouvelles propositions de valeur et de fidélisation, que le marché hôtelier aurait tout intérêt à considérer sérieusement.

En effet, les gains pour les hôteliers s’avèrent multiples : l’attractivité d’une clientèle au pouvoir d’achat intéressant – non négligeable compte tenu de la récente augmentation des prix par les hôteliers -, la garantie de remplir les chambres non louées en semaine, et la compensation d’une baisse potentielle sur le long terme de la clientèle d’affaires et internationale.

De nouveaux acteurs ont déjà investi le marché pour offrir des propositions d’hébergement répondant aux besoins de cette nouvelle clientèle domestique. C’est le cas de FlexLiving, qui propose des logements à temps partiel pour des déplacements réguliers dans la capitale. Ce professionnel du logement flexible agrémente ses packages de services complémentaires (ménage, pressing, panier repas) et facilite la réservation sans engagement.

Les acteurs de l’hôtellerie traditionnelle ont également commencé à compléter leurs catalogues de services pour satisfaire cette nouvelle clientèle : transformation des chambres/salles de conférence/lobbies non occupés en bureaux, connexions Wifi plus fiables et à très haut débit, mise à disposition de casiers de stockage pour les repeaters avérés… Mais ces initiatives restent encore faibles et peu ciblées. Et surtout, les principaux besoins de cette clientèle ne sont pas encore adressés.

Pour aller plus loin, nous pourrions en effet imaginer la mise en place de programmes de fidélité ou de forfaits plus adaptés aux séjours très fréquents, avec une hyper-flexibilité accordée sur les réservations (poses d’options, modifications et annulations facilitées, forfait au mois) ou encore l’ajout de services additionnels tels que des offres de cafés to-go, de demi-pension ou encore d’activités pour enrichir les temps libres. Pour couronner le tout, l’ultra-personnalisation des séjours pour ces clients est presque servie sur un plateau, les voyages étant répétitifs et les besoins stables et faciles à adresser.

Les acteurs concernés ont donc commencé à bouger, de manière isolée, pour proposer de nouvelles offres et services à cette typologie de clients pourtant attractive. Mais à l’heure où l’expérience client se veut la plus fluide, personnalisée et flexible possible, ne serait-il pas intéressant de travailler désormais collectivement pour proposer des offres cross-secteurs packagées répondant à tous les besoins des navetteurs et couvrant l’ensemble de leurs parcours clients ?


Un article écrit par :
Juliette Lecamus – Manager chez Bartle
Estelle Gau – Consultante chez Bartle

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